Je suis née il y a 35 ans dans un pays lointain, mes parents ne vivaient pas ensemble. Ma mère a même fuit mon père quand j'étais bébé. Quand j'ai eu un an elle est revenue dans sa ville et l'a épousé, pensant qu'il n'allait pas vivre.
A mes trois ans, il a été mis dans un avion pour la France. Quelque temps après nous sommes allées le rejoindre.
Drôle de début, non?
Mon jour de rentrée à la maternelle, je ne savais pas un mot de français, je me suis retournée vers ma mère et lui ai dit "Tu peux t'en aller maintenant". Et j'ai appris.
J'ai longtemps été une élève studieuse. Une bonne élève. De celles que les camarades n'aiment pas parce que ce n'est pas une nana cool mais une trop sérieuse. Etudier, lire, c'était un moyen de m'évader de cette vie isolée. J'était surprotégée par ma famille, isolée dans ce quartier pas reluisant. Mes copines étaient laossiennes, chinoises, vietnamiennes. Nos cultures étaient proches l'air de rien.
Leurs pères allaient travailler à l'usine, faire des voitures à la chaîne. Les mères s'épuisaient sur des machines à coudre jusqu'à pas d'heure pour des grandes marques de vêtements (prestigieuses) qui les rémunéraient à la pièce et au noir.
Je ne me souviens pas d'évènement extrèmement heureux dans mon enfance. Il y en a peut-être eu. Sincèrement je ne sais plus. Je me souviens de beaucoup d'appréhensions. Je ne devais pas parler fort, ni faire trop de bruit en jouant car mon père dormait le jour et travaillait la nuit. Ses jours de repos il m'enseignait des choses. Des maths surtout, un peu de physique et des histoires de dinosaures et d'évolution. Des histoires de système solaire aussi. Avec le recul, j'étais trop jeune pour ce que j'apprenais. J'y arrivais mais quelque part, c'était déja de la violence. J'ai su résoudre des équations de second degré puis j'ai entendu parler des nombres imaginaires des années avant mes petits camarades de classes. Alors c'est vrai j'étais la meilleure en beaucoup de matières et j'en étais plutôt fière. Mais je n'étais pas vraiment insouciante. Je craignais mon père qui n'était jamais vraiment affectueux et qui devenait fou parfois. Quand je ne comprenais pas assez vite par exemple, ou quand je ne trouvais pas la solution d'un problème. Un truc qu'il aimait bien dire est que nous devions le respecter. C'est dingue comme beaucoup de personnes confondent la peur et le respect. J'avais peur de lui. J'ai eu peur de lui longtemps. En grandissant je me suis rendu compte que je ne le respectais pas vraiment. J'ai ressenti des tas de choses pour lui au cours de mon existence. Aujourd'hui je crois qu'il m'inspire de la tristesse. Il a vieilli mais il est toujours aussi irrationnel parfois, toujours loin de nous. Mais on ne choisit pas vraiment d'être ce qu'on est, pas vrai? On peut choisir certains de nos actes, mais je suis persuadée que certains sont plus forts que nous. Il y a l'hérédité, il y a la vie que l'on mène, l'entourage. Je ne dis pas que je comprends ses actes tout au long de sa vie mais je sais qu'il y a une violence débordante en moi et je ne suis pas sûre d'être capable de toujours la maitriser. Je suis parfois incapable de dominer mes émotions, ma colère. Seulement je suis une femme et je ne suis pas aussi forte qu'un homme. La violence physique m'est insupportable.
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