Silence programmé
Je peux être parfois assez silencieuse. Dans les soirées, quand on se divise en petits groupes, je suis souvent celle qui écoute beaucoup. Il faut dire que ça donne un certain équilibre car il y a énormément de gens qui aiment beaucoup parler et parler beaucoup et qui, quand je tente une réaction à l'un de leurs propos me coupent la parole pour rebondir eux-mêmes sur ce qu'ils disent. Ça ne me dérange pas, ou plutôt ça ne me dérange plus puisque j'arrive toujours à me faire entendre quand je le veux vraiment, et puis ça satisfait ma curiosité sans bornes en ce qui concerne "autrui". (L'autre moi mais qui n'est pas moi)
Ce qui est surprenant, c'est que je peux aussi être assez silencieuse dans des conversations à deux. Ce qui ne signifie pas forcément que je n'ai rien à répondre à la personne en face de moi, ou que je n'ai pas d'intérêt pour ce qu'elle me dit. Mais j'ai souvent besoin de peser mes mots. J'ai toujours envie de dire la phrase juste, ou à défaut, la phrase la plus juste possible. Ce n'est pas évident quand on regarde toute la subtilité, toutes les nuances qu'il peut exister dans un seul mot. Ce n'est pas évident quand on regarde toute la subtilité, toutes les nuances qu'il peut exister dans un sentiment humain. L'un dans l'autre, j'ai l'impression quelquefois que rien de ce qui peut être dit ne sera approprié. Dans ces cas là, je préfère ne rien dire, quitte à revenir sur le sujet plus tard.
La parole est précieuse, car elle est ce qui va transmettre mon émotion du moment, mes sentiments. Elle est précieuse pour tout ce qu'elle dit mais aussi pour ce qu'elle ne dit pas. J'aime le langage silencieux, le non verbal, l'implicite. J'aime dire quelques mots et les enrober d'un voile de silence.
Petite, je vivais au cinquième étage d'un immeuble glauque. Enfin, personnellement, je ne le trouvais pas si glauque, je n'en avais jamais connu d'autre. Je l'aimais bien même. Il faisait partie d'un grand bloc d'immeubles formant un long L. Proche de l'angle, je pouvais voir mes petits camarades en diagonale, par la fenêtre.
Mon père avait un travail de nuit. Alors il était très décalé par rapport à moi et à ma mère. Il rentrait le matin, mangeait un peu puis se couchait, dormait toute la journée, se levait pour se préparer, manger et repartir travailler.
A la maison, il ne fallait pas faire de bruit, pour ne pas le réveiller. Nous parlions doucement. Je n'ai pas eu les joies d'être une enfant bruyante. Déja que ça ne devait pas être dans ma nature... Pas de jouets ou de jeux bruyants, pas de courses dans l'appartement, pas de crises de larmes ou de cris... Et pas de petits copains et copines à la maison (pour cette raison mais pas seulement).
Les jours sans classe, je pouvais voir les autres enfants jouer sur la place: des fillettes de mon école sautant à corde ou jouant avec leurs dînettes, puis, plus tard, avec les garçons à des jeux tels que "action ou vérité". Je n'étais jamais parmi eux. Ma mère, venant d'un autre continent, et n'ayant pas choisi d'être là me protégeait affreusement du reste du monde. Elle avait laissé sa famille loin, se sentait sans doute très seule, ne parlait pas français. Elle n'avait à proximité que mon père et moi. Et de vraiment important elle n'avait que moi (au moins avant la naissance de mes frères).
Je ne saurais dire ce qu'il se passait dans sa tête. Peur qu'on me fasse du mal, qu'on me blesse? Peut-être. Peur que je me mélange à des personnes qui n'étaient pas "à ma hauteur"? Sans doute. Nous vivions dans un quartier peu reluisant et ma mère a toujours été quelqu'un de très fier. "Ne pas fréquenter n'importe qui", "bien choisir ses amis"... des mots entendus mille fois dans mon enfance. C'est insensé.
Mes amies étaient toutes d'origine étrangère. Asiatique, pour la plupart. C'est fou ce qu'il y a comme points communs entre l'Asie et l'Amérique du Sud quand on y pense. Beaucoup plus que ce qu'on peut croire dans une première approche. Elles étaient vives et intelligentes, ayant évolués elles aussi dans ce mélange culturel (Ça passe ou ça casse, non?). Elles étaient aussi beaucoup plus libres et faisaient tellement plus de choses que moi.
Je lisais énormément. Je n'en avais jamais assez. Des mots à m'en faire tourner la tête.
(...)