Jeunes (II)
Je ne me rendais pas compte à quel point les enseignants étaient investis d'une mission sociale.
Je ne me rendais pas compte à quel point les enseignants étaient investis d'une mission sociale.
Cette semaine, je leur ai demandé de se présenter en anglais. Une des questions à laquelle je voulais qu'ils répondent était pourquoi ils avaient choisi leur filière. Réponse de 50% d'entre eux :"Je ne sais pas" (I don't know) et les autres "Je veux devenir ingénieur" ou "je n'avais pas le choix", "je redouble et j'ai dû venir ici".
Quand on leur demande ce qu'ils aiment, les jeux vidéos sont sur presque toutes les bouches. Lire, voir des films... Trop rarement. Le sport, est cité aussi. La musique jamais (une seule élève)...
Mes élèves et moi, ne vivons pas dans le même monde.
Je suis partagée entre l'envie d'en parler ici ou pas.
J'ai commencé à bosser comme prof dans un lycée. Je crois que c'est le truc le plus crevant que j'ai fait de ma vie. J'ai deux classes : des premières et des terminales. Des grands, quoi. Vingt-deux heures en tout. Mais bien plus, en réalité. Des heures à préparer des cours dans des matières qui ne sont pas du tout ma spécialité à l'origine, même si ce n'est pas si éloignée. Des soirées à me coucher à deux heures du mat'. Ce que je faisais déjà avant, mais pas pour bosser. Des heures à se confronter à des classes de 30-35 élèves, soit amorphes, soit turbulents. Des mecs pour la plupart. Une fille dans une classe, deux dans l'autre. La sensation de ne pas être légitime. Alors, il faut bosser davantage. Le week-end aussi. Je me demande si je ne me sens pas encore moins à ma place que de bosser dans une boîte... Mais instruire la jeunesse, c'est beau, ça fait rêver. C'est pour ça que j'ai postulé.
Mais serai-je un jour à ma place quelque part ? Les jeunes... veulent-il être instruits ? La plupart ne savent pas pourquoi ils sont dans cette classe. Ils me l'ont dit.
Au bout de deux semaines, j'ai l'impression que je n'ai jamais été aussi crevée de ma vie. Même quand j'étais en support 24h/24, 7j/7. Là, t'a pas de planque, t'as pas de backup. Tu es le point de convergence de 35 regards. Et y a des moments où tu te sens seule. Très seule.