Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Dreaming my life
22 août 2021

Confinement.

Quand j'ai commencé à enseigner au lycée, j'avais quatre collègues dans "mon" équipe pédagogique.

L'un deux, un peu plus âgé que les autres était aussi responsable d'une section. Il avait la réputation d'un enquiquineur. Il l'était sans doute. Les élèves, il les menait d'une manière quasi militaire. La plupart des collègues ne le portaient pas dans leur coeur.  Moi, il m'amusait plus qu'autre chose. Il rentrait parfois dans mes classes à l'improviste, pourrissait mes élèves pendant 15 minutes, parce qu'ils étaient pas habillés correctement, parce qu'ils avaient rendu des copies dégueulasses, parce qu'ils ne se comportaient pas bien dans les couloirs... Il les engueulait blablabla blablabla... Fraichement arrivée, je le laissait faire. Je me demande aussi dans quelle mesure il ne faisait pas ça pour me surveiller, voir comment je tenais ma classe. Je m'en foutais, je le laissais causer, parfois avec un sourire en coin et un regard amusé vers mes élèves. Puis il repartait. Je pense qu'un enseignant qui me ferait ça aujourd'hui, je le foutrais dehors en lui disant de ne pas déranger mes cours. Il n'était pas trop aimé par les collègues que je connaissais en tout cas.

Quoi qu'il en soit, comme je n'entrais jamais en confrontation avec lui, que je l'écoutais toujurs calmement et qu'il a vu sans doute que je me sortais du mieux que je pouvais avec des classes difficiles, il n' a jamais été dur avec moi, comme il a pu l'être avec d'autres. Ou alors dans mon dos. Les élèves me rapportaient quelques trucs qu'il avait dit sur moi. Ce qui me faisait un peu marrer. Rien de dramatique. J'ai toujours senti qu'il jouait un personnage, qui fait peur un peu, pour ne pas se laisser bouffer. J'avais l'impression qu'il était bon quand meme. Parfois les élèves lui écrivaient des années après, en le remerciant de les avoir secoués et menés vers leurs buts.

La dernière fois que je lui ai parlé, à ce collègue, j'en avais un peu gros sur la patate, à cause des parents d'élèves, des élèves... On a  discuté un peu. Il m'a dit qu'il ne fallait pas se laisser faire. Je l'ai remercié sincèrement. Puis il m' a dit "Si tu as besoin, tu peux toujours m'appeler." Etrangement, ce sont les dernières paroles qu'il m'a dites, et ce qu'il restera de lui pour moi.

Puis il y a eu le covid.

Quand le confinement a été annoncé, mes élèves étaient fous. Il sont partis extrêmement joyeux et excités en me criant "bonnes vacances, madame !!!". Je leur ai dit que ce n'était pas des vacances, qu'on allait quand meme travailler. Certains prétendaient qu'on ne se reverrait pas avant septembre. Je ne les croyais pas.

Mon collègue ne leur a donné qu'un devoir en partant en leur disant qu'ils n'avaient que ça à faire jusqu'à la reprise. Effectivement, les élèves ne sont pas revenus cette année. Lui ne leur jamais fait cours à distance, ni e-mails, ni rien.

Plus tard, nous avons su qu'il avait des problèmes de santé (pendant tout le temps du confinement le directeur nous envoyait des bulletins hebdomadaires). On ne savait pas trop quoi. C'était le grand ami et soutien du directeur. On ne savait que penser... Puis on a entendu, par ci, par là : "dépression". Il était proche de la retraite aussi.

L'été est passé. En septembre nous avons repris "normalement". Lui n'est pas revenu. Nous avons juste appris que ses problèmes de santé continuaient... J'ai pensé à lui envoyer un mot de soutien, prendre de ses nouvelles... Je ne l'ai pas fait. On n'était pas vraiment amis, pas du tout meme. Et j'ai toujours peur d'être intrusive ou indiscrète. Je ne l'ai pas fait...

J'ai croisé des élèves, ils m'ont parlé de lui. J'ai eu envie de lui écrire "les élèves demandent après toi". Je ne l'ai pas fait. J'ai vraiment eu envie mais non.

Les semaines ont encore passé. J'ai pensé à lui, je ne sais pas pourquoi, quand meme assez souvent.

Puis, un jour, un e-mail du directeur est tombé, nous annonçant son décès. On ne sait pas de quoi. Dans le passé, les décès de collègues dans les télécoms dont on cachait la cause avec pudeur étaient souvent des suicides. Donc j'y pense, forcément. Puis, ça se confirme dans les couloirs du campus. Je ne cherche pas l'information mais elle me tombe dans les oreilles.

Mon établissement est catho, donc il y aura une messe en son hommage. Le directeur dira à mots couverts ce que nous ressentions déjà. "Il n'est pas décédé du covid, mais si le covid n'avait pas été là, nous pouvons supposer qu'il serait encore parmi nous."

 

 

 

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Dreaming my life
Visiteurs
Depuis la création 43 800
Derniers commentaires
Archives
Publicité