Quand j'étais gamine mes parents ne me laissaient aucune liberté pour sortir avec mes copines, les inviter à la maison. J'étais donc très isolée en dehors des heures de classes.
Un samedi matin où exceptionnellement je n'avais pas classe, je n'ai rien dit à mes parents et je suis partie à l'heure habituelle avec ma sacoche sur l'épaule. Je devais avoir treize ans. A travers cette escapade de quelques heures, je ne recherchais rien d'autre qu'un espace de liberté en dehors du "cocon" familial. Je ne savais pas où aller particulièrement. Je me suis éloignée et à un moment je me suis mise à marcher sur cette route avec des champs de part et d'autre. Je marchais en lisant un livre et je respirais à plein poumons. L'air était frais car il était encore tôt dans la matinée. Je me souviens que je portais une jupe plissée grise à carreaux de type écossais, un pull blanc sans doute et ma mère avait l'habitude d'attacher mes cheveux en une longue tresse dans le dos. Je devais sans doute trouver ma tenue moche. En y repensant aujourd'hui, je réalise à quel point mon look pouvait être lourd de connotations.
Je marchais donc, et il n'y avait pas beaucoup de passage sur cette route. J'étais seule à marcher et avec de temps à autre, une voiture. Soudain une voiture arrive dans mon dos. Je me range un peu pour la laisser passer. Elle ralentit. Un type est au volant. Il me demande par la fenêtre s'il peut m'emmener quelque part. C'était un adulte. Pas un ado, pas un jeune. Il doit avoir le double de mon âge ? Peu importe, j'aime pas sa tête, il a je ne sais quoi de répugnant. C'est sans doute simplement son mauvais karma. Je dis non, en continuant à marcher, il se met à rouler au pas à côté de moi. Je ne sais plus ce qu'il me disait, il m'a demandé si je séchais les cours je crois. Je voulais qu'il s'en aille. J'étais tellement ignorante. Je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était que baiser ou ce qu'était un viol. Mais je savais que ce type n'allait pas me laisser et qu'il ne me voulait pas du bien. J'ai commencé à marcher plus vite mais bien sûr, je ne pouvais pas échapper à sa voiture. J'ai fait demi tour pour repartir dans l'autre sens, deux, trois fois. A chaque fois il faisait un demi tour sauvage en faisant crisser ses pneus. Je ne savais pas comment j'allais m'en sortir.
Puis une autre voiture est arrivée. Je n'ai pas eu besoin de faire signe. Le conducteur s'est arrêté. Le sale type a détalé en moins de deux. Le monsieur au volant m'a demandé si l'autre type m'embêtait. J'ai raconté qu'il voulait me forcer à monter avec lui. Le monsieur m'a donc invitée à venir avec lui. Il y avait son fils à l'arrière, un petit garçon de quatre ans peut-être, je crois qu'il y avait un chien aussi dans la voiture. Il m'inspirait confiance et puis j'avais trop peur que le sale type revienne. Alors j'ai accepté sa proposition.
Nous avons discuté un peu. Ce monsieur allait faire ses courses, je l'ai suivi. Dans le supermarché, j'ai fait une pause au rayon disques et j'ai regardé celui de mon groupe préféré avec envie. Il l'a mis dans son caddie.
Au retour, il m'a déposé devant la maison d'une amie. Il m'a offert le 33 tours.
Je ne sais même pas son nom, mais il m'a sauvé d'un type tordu et m'a fait un cadeau. Je n'étais rien pour lui. Combien de personnes seraient passées sans même ralentir ?
Je me souviens de son visage, vaguement, et de son petit garçon blond. Il m'arrive de penser à lui. Dans mon coeur je lui dis encore merci.
Et l'autre... ? Combien de mal a-t-il pu faire , à combien de filles, jeunes ou moins jeunes ?